"La part des biens réellement produite en Allemagne se réduit fortement"

La Tribune, 26 May 2005, 35

Hans-Werner Sinn, président de l'IFO*

Comment expliquez-vous que l'Allemagne reste le champion mondial des exportations de marchandises?

C'est un boom malsain. Les coûts de production élevés ont détruit les industries de main-d'œuvre. Cela a permis de dégager des capitaux pour développer les secteurs gourmands en capitaux qui résistent puisqu'ils sont plus dépendants des machines que des hommes. L'Allemagne est donc très spécialisée dans certains secteurs et importe beaucoup dans d'autres. Au final, nous ne sommes pas seulement champions au niveau des exportations de biens mais également champions en termes d'importations de services touristiques par exemple. En termes d'exportations globales, biens et services, nous restons toujours numéro deux loin derrière les Etats-Unis.

Pensez-vous que l'Allemagne pourrait perdre sa prédominance?

Certainement pas tant que l'euro est aussi élevé. Il y a un effet statistique dans le classement mondial puisqu'il est fait sur des bases en dollars. En volume en revanche, on devrait assister à une certaine baisse. Notre prévision pour l'année 2005 est une hausse des exportations de 4,5 %, soit moins que l'an passé.

Certains s'inquiètent de la montée continue des prix des matières premières et y voient un danger sachant que la plupart des PME, qui font la force de l'économie allemande, ne sont pas couverts sur leurs achats de matières premières. Partagez-vous ce point de vue?

Non. Tant que l'euro reste fort, le risque est faible car il compense en grande partie la hausse des prix des matières premières facturés en dollars. Le jour où la monnaie européenne se mettra à baisser, l'effet négatif sera surcompensé par la stimulation qu'apportera un euro faible aux exportations.

Vous avez qualifié l'économie allemande " d'économie de bazar ". Pourquoi?

La part des biens exportés qui est réellement produite en Allemagne se réduit fortement. De plus en plus de pièces sont fabriquées dans des pays à bas salaire avant d'être importés en Allemagne, finis et montés sur place et ensuite exportés. Mais ces produits sont comptabilisés à 100 % dans les exportations. Aujourd'hui, une hausse des exportations d'un euro sous-entend une progression des importations induites de 55 centimes alors que la production locale ne progressera que de 45 centimes. En moyenne, 38 % des exportations sont des importations induites pour l'export.

C'est une conséquence logique de la mondialisation…

Oui mais le problème est qu'un nombre croissant d'emplois industriels disparaît en raison de structures trop rigides et ils ne sont pas remplacés par des emplois dans les services, car il faudrait pour cela que les salaires soient nettement plus bas. D'où la hausse incessante du chômage qui fait que l'Allemagne a la croissance la plus faible de l'Union européenne.

On assiste toutefois depuis l'été à la signature de nombreux accords de flexibilité du temps de travail qui permettent de réduire les coûts.

C'est une réaction enfin censée après trente ans de politique agressive des syndicats. Mais le niveau des coûts du travail reste trop élevé. Il faudra encore au moins dix ans avant d'arriver à un niveau de coûts de production similaire entre la France et l'Allemagne.

Propos recueillis par B. de P.

*IFO : indice qui mesure le climat des affaires en Allemagne.