"L'histoire risque de mal se terminer"

Interview mit Hans-Werner Sinn, LesEchos.fr, 23.11.2011

Que devraient faire, selon vous, les gouvernements pour réduire leurs dettes ?

Les Etats-Unis devraient augmenter les impôts et la France réduire ses dépenses publiques, qui représentent plus de 50 % de son PIB, un niveau record en Europe et même au sein de l'OCDE.

Angela Merkel souhaite renforcer l'intégration de l'Union européenne. Est-ce la bonne solution ?

Créons une Europe forte et unie en abandonnant notre souveraineté et commençons par mettre en place une armée commune, et pourquoi pas un gouvernement commun sur certaines compétences. Mais, à mon avis, chaque Etat devrait rester responsable de sa dette. Je ne suis pas pour la mutualisation des dettes publiques.

Que faire alors ?

Angela Merkel et d'autres gouvernements veulent renforcer le système européen avec de mauvais outils. Il est inutile de nous acharner sur une route qui nous éloigne de notre objectif. Mais ne vous méprenez pas. Je suis favo-rable à l'Union européenne et à l'euro. Nous avons besoin d'une monnaie unique. Je pense juste que l'euro a été introduit d'une manière trop hâtive et qu'il a été accordé à trop de pays. Certaines nations devraient pouvoir l'abandonner de leur propre chef. L'euro a aidé les pays européens à obtenir des liquidités sur les marchés financiers, mais si la Grèce conserve aujourd'hui cette devise, tout le pays va continuer à souffrir pendant très longtemps et son taux de chômage restera très élevé. Permettons-leur de quitter l'euro, de réintroduire la drachme et de convertir leur dette en drachmes. Pour devenir aussi compétitive que la Turquie, la Grèce doit déprécier sa monnaie de... 44 %. Toute autre soi-disant solution est un mythe.

Mais l'Europe va ontinuer de débloquer des plans de sauvetage...

L'Union européenne ne fait que retarder l'inévitable. Elle manque de courage. Les plans de sauvetage seraient utiles si nous avions seulement à gérer une nervosité passagère des marchés financiers. Mais ce n'est pas le cas aujourd'hui. Il existe des déséquilibres structurels fondamentaux. Les salaires et les prix doivent être réduits pour restaurer la compétitivité, mais les politiciens refusent de regarder cette réalité en face.

Pensez-vous que la BCE a dépassé les limites de son mandat durant la crise ?

Oui. Lorsqu'elle redistribue les richesses au sein de l'Europe, elle applique une politique de renflouement et non pas une politique monétaire, qui constitue sa mission. La BCE a été trop loin. De plus, nous ne pouvons pas non plus avoir une banque centrale où les petits pays ont le même poids que les gros. Le droit de vote devrait être proportionnel à la taille des Etats membres.

Pensez-vous que des sanctions doivent être prises à l'encontre des pays qui ne respectent pas les critères imposés par l'appartenance à la zone euro ?

Je pense qu'une telle mesure n'est pas aussi urgente que les gouvernements veulent bien le dire. Un pays qui va trop loin sera de toute manière puni par les marchés financiers : la hausse de leur taux d'intérêt l'empêchera d'emprunter davantage. Donner au marché le rôle de chien de garde est plus important que de prendre des sanctions.

Vous n'avez pas l'air très optimiste concernant l'avenir de l'Europe...

L'Europe est sur le mauvais chemin et l'histoire risque de mal se terminer. Les plans de sauvetage nous permettront peut-être de respirer pendant cinq ans, mais, après ce délai, les coffres des pays bailleurs de fonds seront vides et les nations les plus faibles n'auront pas amélioré leur situation, car l'argent reçu leur aura permis de différer les mesures nécessaires pour accroître leur compétitivité. Mais alors la France et l'Allemagne connaîtront d'énormes problèmes financiers. Peut-être même se retrouveront-elles insolvables !

Propos recueillis par frédéric thérin , Les Echos