Pourquoi l’Allemagne reste la locomotive de l’Europe

Hans-Werner Sinn

L'Echo, 25.10.2010, S. 3.

Hans-Werner Sinn voit l’avenir économique de l’Allemagne en rose bonbon. L’institut de recherche économique Ifo qu’il préside depuis 1999 a publié hier son baromètre mensuel qui montre que le climat des affaires a atteint en octobre son plus haut niveau depuis mai 2007. Cet optimisme est une conséquence, selon ce professeur de l’Université de Munich, des réformes libérales engagées par Gerhard Schröder et de la crise qui a encouragé les banques allemandes à s’intéresser de nouveau à leur marché intérieur. Frédéric Therin

Professeur Sinn, votre institut vient de révéler une nouvelle amélioration du climat des affaires en Allemagne. Un regain de confiance appelé à durer?

Nous ne publions pas de prévisions concernant l’avenir mais la hausse de notre baromètre confirme que l’économie allemande tourne bien tant au niveau des exportations que de la consommation intérieure.

Pourquoi cette reprise a-t-elle mis tant de temps à se dessiner?

C’est une conséquence directe de la crise.De1995 à l’éclatement de la crise, les banques transféraient à l’étranger les trois-quarts de l’épargne déposé en Allemagne. Ces placements ont nourri le boom de l’immobilier dans de nombreux pays et ils ont contribué à la surchauffe de ce marché.

Aujourd’hui, l’argent placé en Allemagne reste sur place et les banques le reversent aux investisseurs locaux. Ces quinze dernières années, l’économie allemande stagnait. Un seul pays de l’Union européenne a affiché une croissance plus faible que la sienne durant ces quinze années et son taux d’investissement net était le plus faible parmi les 33 pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les banques pensaient qu’elles ne prenaient aucun risque de taux de change en allant à l’étranger. Mais maintenant, elles n’osent plus quitter leur territoire. On risque donc d’assister dans les sept à quinze prochaines années en Allemagne à la situation inverse à celle que nous avons constatée lors des quinze années précédentes.

L’avenir semble donc des plus prometteurs…

Le capital est le sang du capitalisme et l’Allemagne à longtemps fourni des transfusions à d’autres pays. Aujourd’hui, ce sang va rester dans son système et il va revitaliser son économie. Cet argent va être investi dans le pays. Les entreprises vont pouvoir emprunter

plus facilement et l’immobilier va repartir à la hausse comme le montrent les carnets de commande des architectes qui atteignent des sommets inconnus depuis 15 ans. Cette hausse de la pierre va provoquer à son tour une reprise du marché du travail qui va engendrer une hausse des salaires et une reprise de la consommation.

Ces hausses salariales ne risquent-elles pas de réduire la compétitivité des entreprises allemandes à l’étranger?

Sans aucun doute. Mais le surplus commercial de l’Allemagne était une conséquence de la faiblesse de son marché intérieur qui s’expliquait en raison des transferts d’épargne en euros. La crise a permis aux prix des produits allemands de rester bas et d’être en conséquence compétitifs à l’étranger. Avec la reprise, les salaires et les prix vont augmenter. Si vous ajoutez à cela la hausse attendue des importations, il semble évident de prédire une nette réduction de l’excédent commercial dans la prochaine décennie.

Les très bonnes performances des PME et PMI allemandes à l’étranger étonnent beaucoup de pays européens. Comment expliquez-vous ce phénomène?

Les PME et PMI ici ne sont pas aidées par l’Etat. C’est la grande différence avec un pays comme la France où le gouvernement a pris l’habitude de subventionner des énormes groupes pour les aider à financer leurs mégaprojets. Cette politique est mauvaise: elle pénalise les plus petites entreprises qui ne peuvent pas se battre contre des sociétés qui reçoivent des subsides publics. La planification a été une erreur en France mais ce pays ne semble pas l’avoir compris si l’on écoute les discours de M. Sarkozy qui reposent sur une vieille école de pensée.

Vous aviez écrit en 2003 un livre très pessimiste intitulé «Ist Deutschland noch zu retten?» («L’Allemagne peut-elle encore être sauvée?»). Le pays affiche depuis une belle santé. Vous étiez-vous trompé dans votre analyse?

Pas du tout. Mes critiques et celles d’autres experts ont abouti à l’adoption de l’agenda 2010. Gerhard Schröder a permis avec cette réforme de rendre le marché du travail plus flexible. En réduisant les allocations chômage, en introduisant un système d’allocations salariales dont bénéficient à présent 1,5 million de salariés, M. Schröder a créé un véritable miracle sur le marché du travail.

Le gouvernement actuel semble bien immobile comparé aux précédents cabinets en place à Berlin. La coalition a-t-elle bien géré la crise mondiale?

Le gouvernement fait face aujourd’hui à une phase très difficile de l’histoire européenne. Je souhaiterais qu’il fasse preuve d’un peu plus de fermeté lors des négociations avec ses partenaires étrangers. Pour profiter d’un plan de sauvetage, les pays surendettés devraient notamment s’assurer au préalable que leurs créditeurs abandonnent une partie de leurs créances. Les créditeurs doivent assumer une partie de leurs responsabilités. C’est essentiel si on veut s’assurer que ces établissements se montrent plus prudents à l’avenir.